vendredi 11 mars 2011

Un viol et la loi de la jungle



Hier, en allant à l'école de Kopila Valley (l'école à Maggie), j’apprenais une nouvelle déchirante. Maggie me disait tristement dans la cuisine, avant que je m'apprête à prendre mon repas : '' Yesterday, one of the kids got raped in the jungle ! '' À mes oreilles, ça sonnait comme si un gorille venait de violer un enfant. Un viol dans la jungle, la symbolique était puissante. J'étais fâchée, abasourdie, triste, en colère et confuse. Bref, plusieurs sentiments ont surgis.

Je me suis demandée pourquoi ? Pourquoi un homme d'une trentaine d'année a abusé sexuellement un jeune de 8 ans ! Cet homme connaissait le garçon. Il lui a dit: ''Je sais que tu vas à l'école de Maggie. Viens, je suis professeur. Je vais t'aider pour tes examens''. Le garçon l'a donc suivi et il s'est fait abuser dans la jungle, dans la forêt par voie anale à deux reprises.

Maggie l'a appris tandis qu'elle observait le garçon qui s'était présenté ce matin là pour faire son examen de fin d'année scolaire. Le jeune garçon regardait le plafond, ne sachant quoi trop écrire sur sa feuille d'examen qui était restée blanche. Il semblait dépassé par les évènements. Elle lui a demandé ce qui n'allait pas. Il lui a raconté son histoire tragique. Le jeune bambin n'a pas de parents. Il n'a pas su le dire à personne de peur que ses voisins le jugent ! Ici, les lois et les règles en vigueur ne s'appliquent pas. Le viol est tabou. C'est le genre de choses dont on ne parle pas. Ici, la loi est celle de la jungle; c'est toi qui fait ta loi, ta propre vengeance.

Quelle sera-t-elle ? Un rapport de police sera complété aujourd'hui. Seront-ils vigilants et donneront-ils suite au dossier ? Je ne crois pas. J'ai contacté une docteure et elle observera le petit pour prendre des prises de sang afin de vérifier s'il n'a pas contracté le VIH ou l'hépatite B. Elle lui donnera des antibiotiques aujourd'hui même. Ces médicaments guériront en partie la douleur des blessures physiques qu'il a subies. Il avait du mal à s’asseoir sur sa chaise. Cependant, rien ne saura réparer irrémédiablement le traumatisme psychologique intérieur qu'il éprouve. 

Que faire ? En parler SVP ! J'ai suggéré à Maggie qu'elle fasse un atelier sur le sujet à l'école afin de sensibiliser les enfants et surtout de ne pas rester muet. Les jeunes ont le droit d'être protégés. Ils ne sont que des enfants sans défense. Au Québec, c'est similaire mais notre système fait en sorte que les abuseurs peuvent être poursuivis et punis si dénoncés.


(La suite est écrite par François)

Ici, dans le far-west népalais (jeu de mot intentionnel), les poursuites criminelles n'existent pas au sens ou nous les connaissons. Si tu allonges des billets sous la table, peut-être que le chef de police se souciera un peu de toi. La loi de la jungle, c'est aussi celle du plus fort. La corruption est omniprésente. Des juges et un jury, c'est quoi ça ? Dans la jungle, c'est la justice pour soi-même, des jugements et des actes spontanés, souvent insensés. 

Il y a quelques semaines, à une heure d'ici, un chauffeur d'autobus a poursuivi sa route pendant quelques minutes avant de se rendre compte qu'un petit gars était resté pris sous le véhicule. Il l'avait traîné sur plusieurs kilomètres. Il l'avait tué. Des rumeurs disent que le jeune s'amusait sous le bus lorsque celui-ci a redémarré. Lorsqu'il a réalisé ce qui se passait, le chauffeur s'est arrêté immédiatement. En fait, il venait de signer son arrêt de mort. Des gens du coin l'ont accusé de meurtre sur le champs. Ils ont saisi les pierres les plus près et l'ont lapidé. Ensuite, il l'ont attaché et ont projeté son corps dans les eaux glacées de la rivière Bheri, à Mehelkhuna. 

La manchette s'est rendu dans les journaux nationaux comme un simple fait divers mais depuis, rien. La jungle s'est occupé d'elle même. Aucun procès, une petite enquête et voila, le tour est joué. Pendant les trois jours qui ont suivi, une bandha routière a été déclarée. Aucun véhicule n'était autorisé à prendre la route. Une bandha est une genre de grève déclarée par n'importe quel groupe, n'importe quand pour n'importe quelle raison. Elles ne sont pas appuyées par les autorités gouvernementales. Celle-ci, elle fut démarrée par les parents du garçon qui revendiquaient un montant forfaitaire de la part de l'association des transporteurs routiers pour la mort de leur fils. 

Les assurances qui existent pour la route couvrent seulement les frais de réparation pour des bris sur le véhicule. Aucune protection sur la vie humaine. Aucun mesure légale pour encadrer de tels litiges. Ce vide légal peut laisser place à des situations complètement invraisemblables et inacceptables. Maggie nous racontait récemment une autre histoire d'horreur en ce sens. Un homme qui conduisait un jeep a heurté une jeune fille au bras, rien de grave. Mais dès l'incident arrivé, elle supplia le chauffeur de la laisser saine et sauve, qu'elle ne lui causerait pas de problème. L'homme a tout de même décidé de la pourchasser à l'aide de son véhicule pour lui passer sur le corps jusqu'à ce que mort s'en suive, question d'être certain qu'elle ne s'en sortirait pas vivante. À notre connaissance, cet homme est encore libre. Il s'agit d'une pratique qui n'est pas forcément marginale.

La raison de son geste répréhensible : ça coûte moins cher ainsi. Payer un montant forfaitaire à la famille est moins dispendieux que de payer une indemnisation à vie pour quelqu'un que l'on rend inapte, handicapé. Ici, pas de SAAQ, d'assurances, seulement une jungle légale.

Nous avons assisté à quelques incidents au Népal durant notre séjour. La plupart du temps, les témoins se sauvent, de peur d'être impliqués, pourchassés et punis par des assaillants en quête de justice immédiate.

L'homme qui a violé ce jeune garçon qui fréquente l'école de Maggie sera dénoncé aujourd'hui. Aucun témoin à l'appui. Quel sort lui sera réservé ? Une vengeance sauvage de la part de la communauté ou une insouciance totale ? Le jeune garçon est une victime de la jungle. Le désir de vengeance peut être grand mais la soif d'une réelle justice doit l'emporter pour lui et son agresseur.

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