lundi 29 novembre 2010

Les nourrir ou les laisser crever ?



Moi aussi, je suis fâché. Fâché et impuissant devant la situation ici, dans l'Ouest du Népal. Étant sur le terrain où les hélicoptères du Programme Alimentaire Mondiale (PAM) bourdonnent à la longueur de journée, je me suis posé plusieurs questions du genre : les nourrir ou les laisser crever ? C'est cru, n'est-ce pas ? La réalité est qu'ici, dans l'ouest du Népal, 1,6 millions de personnes sont dans une situation d'insécurité alimentaire dans près de 163 districts. Évidemment, nous avons le devoir et l'obligation morale de ne pas les laisser crever.  Par contre, la solution pratique à long terme ne passe pas forcément par ce flux de vivre ad vitam éternam. 


Le Programme Alimentaire Mondiale (WFP en anglais) est un organisme lié à l'ONU. Le Canada participe au financement du PAM au Népal. Comme je l'ai mentionné dans des billets précédents, ils sont bien implantés à Surkhet. C'est à partir d'ici que des milliers de tonnes de riz s'envolent à chaque matin vers les montagnes isolées au nord du pays. Selon le PAM, 70 % des enfants en bas de 5 ans souffrent de malnutrition dans cette région. Les terres ne sont pas fertiles et fortement en pente. Les superficies cultivables ne sont presque jamais irriguées. Les sécheresses se multiplient et le prix des denrées disponibles localement explose depuis 2007. Il y a un recul marqué de la croissance économique. 46 % des habitants sont sans emplois.  Inaccessibles en véhicule par voies terrestres, on peut se poser la question si les communautés de ces régions ne sont pas condamnés à un sort fatal. 

La région est en déficit alimentaire depuis 2005. Selon le PAM, 21 M$ additionnels sont nécessaires dès maintenant pour réussir à répondre à la demande seulement pour cette année. Ils devront couper les vivres à 6 districts à la fin novembre. Des milliers de personnes devront passer de deux repas par jour à un seul.

Comment font-ils pour passer à travers ? En retirant leurs enfants de l'école, en les envoyant travailler en Inde. Ça fait une bouche de moins à nourrir. D'où la question que plusieurs se posent :

Pourquoi restent-ils sur ces caps de roc incultes ? 
Pourquoi ne pas les relocaliser  ?

Les avions pilotés par nos amis kiwis et autrichiens, contractés par le PAM . Ici, ils sont à Simikot
Ces gens occupent le territoire du Népal. Ils possèdent des lopins de terre. Ils ont des maisons. S'ils migrent vers le sud, ils perdraient tout leurs actifs actuels acquis au fil des générations. Que feraient-ils à Surkhet, à Katmandou ou en Inde ? Ils se retrouveraient fort probablement dans une situation très précaire, ou bien dans la rue.

Contrairement à plusieurs pays où le PAM intervient, il n'y a plus de guerre civile qui sévit au Népal. Il n'y aucune catastrophe naturelle mis à part les difficultés reliées à la mousson annuelle. La capacité de la région de produire suffisamment de denrées alimentaires est en déclin depuis 2005. Ainsi, le PAM et le Nepal Food Corporation (NFC), l'agence du gouvernement népalais également actif dans la région, se retrouvent dans une situation où ils doivent et devront acheminer des vivres sans connaitre le jour où ils cesseront. Est-ce que cela pourrait produire un phénomène de dépendance des populations locales face à cet aide ?

Une anecdote qui fait peur

Ludwig, le pilote autrichien, à gauche.
L'autre jour, notre ami Ludwig nous a raconté une histoire d'horreur qu'il a vécu. Il y a eu des délais dans l'acheminement des stocks de riz par voie terrestre vers l'aéroport de Surkhet. Le pont aérien de Surkhet vers un des districts en déficit alimentaire majeur n'avait pas eu lieu depuis une semaine. Lorsque Ludwig est atterri sur le tarmac de gravelle, des dizaines de personnes se sont rués sur l'appareil pour s'emparer des sacs de riz avant même que l'avion ne soit immobilisé.

Un policier local est venu voir Ludwig avec un côté de la tête ensanglanté. Terrorisé et désemparé, ce dernier s'était fait mordre et arracher une partie de son oreille par un habitant qui ne voulait pas respecter le règlement disant que personne ne devait aller sur le tarmac avant que l'avion n'atterrisse, question de sécurité. La veille, la communauté avait voté pour la destitution de ce policier et de ses collègues. Les deux ou trois policiers n'avaient plus l'autorité pour faire respecter la loi. Le chaos, quoi.

Ludwig s'est empressé de demander aux policiers de tenter de regrouper et contenir les gens hors de la piste de décollage pour qu'il puisse quitter le plus rapidement possible tandis que la tension montait au sein des citoyens affamés qui se tiraillait pour obtenir leur part. Le policier pensait que c'était la meilleure chose à faire; que l'avion quitte plus sacrant pour que les gens se calment.

James, notre ami kiwi (de la Nouvelle-Zélande). Il est également pilote d'avion. On le voit ici devant un hélico du PAM


La méthode dont cet apport de nourriture est géré au plan local demeure toujours mystérieux pour moi. Le PAM a un programme qui s'appelle le Food/Cash For Assets (FCFA). Ce dernier cible les communautés les plus vulnérables à l'insécurité alimentaire. L'objectif est de rétribuer les bénéficiaires en riz contre un travail accompli par ceux-ci. Les activités plutot manuelles n'exigent aucune qualification particulière. Il s'agit de la construction et réparation de routes, de systèmes d'irrigation, d'étang pour faire de la pisciculture, etc. Ces projets sont conçus pour avoir lieu entre la période de plantation et de récolte du riz, lorsque les réserves de nourriture sont à leur plus bas.

En théorie, c'est bien beau, dans le meilleur des mondes. Mais en pratique, le programme ne peut pas forcément être mis en oeuvre. L'anecdote de Ludwig démontre que les conditions ne sont pas toujours réunies. Sans parler du commerce du riz qui peut exister avec ces dons. 


Des locaux qui déchargent les mastodontes du PAM

Il y aussi des impacts négatifs potentiels : distorsion des prix du riz sur le marché local, des fermiers qui délaissent la l'agriculture afin de travailler pour le PAM, les savoirs agricoles qui se perdent.


Le peuple népalais est fier. Reconnaître que des gens souffrent de malnutrition et vivent des situations d'une précarité qui peut laisser place au chaos n'est pas évident. La solution n'est pas manifeste. Les nourrir ou les laisser crever ne doit pas se poser comme dilemme. Pourtant nos gouvernements qui financent le PAM se la posent puisqu'ils sont ceux qui décident du sort de ces population par les sommes qu'ils allouent au programme. Mais quelles sont les autres options ? Je fais un appel à tous ! 

Est-ce que la relocalisation est une solution valable ? Au Québec, l'expérience de l'Opération Dignité dans le bas du fleuve durant les années 60 nous a démontré que vider une région de son peuple peut également créer d'autre hémorragies.

Revenir sur une agriculture de subsistance adaptée à une terre de caien ? Connecter ces régions par voie terrestre au PC ? Nourrir ou laisser crever ?

Il y a une chose que vous pouvez faire immédiatement, c'est d'aller signer la pétition mondiale pour se révolter contre le fait qu'il y ait 1 000 000 000 de personnes qui souffrent de faim chronique: 1billionhungry.org. Nous sommes déjà plus de 3 millions à l'avoir signé. Le site est très bien fait, il soulève des solutions globales à mes questions.


samedi 27 novembre 2010

Let's dance !


Le temps des fêtes et Noel s'en vient. Ici pas de sapin, de musique de centre d'achat, pas de radio pour nous casser les oreilles avec les mêmes tounes pendant un mois. Quand même, on essai de se mettre dans l'ambiance, en famille !

mercredi 24 novembre 2010

Se sentir comme un grand-papa chez le Barbier



Quand nos grand-pères allaient chez le barbier, c'était une expérience sensorielle et sociale. Ils se faisaient prendre en main, littéralement. Un genre de deuxième confessionnal où les péchés allaient se discuter et se faire expier entre hommes à coup de pioche et de ciseau.

Ici, l'expérience est définitivement sensorielle. Comme dans le temps, la crème à barbe appliquée au pinceau, les lames simples (propres et neuves à chaque fois, garantie) et les massages extraordinaires procurent le même bien-être que pouvaient susciter une bonne session de pottinage avec le barbier du village.

Quand je dis massage, je dis massage complet, en haut de la ceinture quand même. Remarquez les sons émis par les doigts du barbier. Ce que vous ne voyez pas, c'est que la prochaine étape consiste à reposer ma tête contre le comptoir, à recevoir des tapes dans le dos et à me craquer chacune des articulations jusqu'au petit doigt. Intense. Désolé, notre carte mémoire était pleine ! Il faut le vivre pour comprendre.

P.S Steven, ne te coupe pas les cheveux avant de venir. Mais, oublie ça; il ne rase pas les "chest".

samedi 20 novembre 2010

Sur les traces du rhino et du tigre



Il y a déjà 2 semaines, nous sommes allés au parc national de Bardya avec ses 1000 km2. Ce séjour était longuement attendu par les enfants et les parents. L’activité majeure serait une balade à dos d’éléphant à la recherche de M. Tigre et M. Rhinocéros.

Nous partons de Surkhet à 13h45 et nous arrivons à Bardya vers 18h45. Notre chauffeur avait eu un accrochage avant de venir nous chercher, il a donc du payer l’accidenté : un miroir d’auto ! Très sécurisant, avouons qu’il avait l’air très très bizarre.  Bon, une fois arrivé sur les lieux, une maison Tharu juste pour nous nous attend au Forest Hideaway Lodge : une chambre avec 4 lits simples et une chambre de bain avec douche chaude, ce que nous n’attendions pas. La maison est en boue à l’extérieure et de l’intérieur en ciment, la boue c’est pour le « look » Tharu, un peuple du Terai, région très chaude.



Le lendemain matin debout à 5h00 (déjà vu) pour déjeuner à 5h45 et être sur notre gros compagnon, M. Éléphant, à 6h30. Grandeur nature, c’est immense. On embarque sur l’éléphant dans le parking! François est avec Théo et Dilip, l’éléphant pour les gars. Il s’appelle Anthony. L’autre bien vous l’aurez deviné, c’est l’éléphante de fille , big mamma. Elle s’appelle Laxmi. Elle a 60 ans. Elle est la plus vieille du parc. Elle porte Emma, Naomi et moi-même. 




Nous partons tous très excités. On trouve des termitières, on entend des oiseaux et nous sommes très attentifs aux bruits qui nous entourent. On veut vraiment voir un rhino ou un tigre, mais nous sommes conscients que nos chances sont très faibles.  Les premiers animaux à se montrer la bette sont les chevreuils et les singes. Bon, pour nous les chevreuils rien d’étonnant. Dans notre rang 2 à Wotton, on en voit à tous les soirs! Pour les singes, bien ici, c’est très commun. Ceci étant dit, nous sommes sur un éléphant et la chose en soit est excitante.




Une balade dans l’eau avant de passer à la savane. L’éléphant prend une pause pour s’abreuver avec sa trompe. Théo est très impressionné, nous, (les filles) on ne peut pas le voir. On est assis dessus.




Les deux éléphants se séparent et ils partent chacun dans deux directions opposées. En passant, moi je n’ai pas de caméra. Laxmi commence à tourner en rond. Son conducteur lui tape dessus. Laxmi s’en fout, elle tourne en rond, va un peu n’importe où pendant quelques minutes. Intérieurement, je me dis, le gars, il ne conduit pas son éléphante, mais c’est elle qui nous conduit. 



Laxmi, les filles et le levée de soleil sur le lit de la rivière asséchée.



Bien croyez le ou non, Laxmi nous amenait vers le rhinocéros, hey oui! Bon, je n’ai pas de photos à l’appui, mais j’ai 3 témoins. Nous l’avons vu pendant 5 longues minutes. Laxmi suivait le rhinocéros et celui-ci se cachait. Mon conducteur tentait d’appeler Anthony pour qu’il vienne voir la bête à une corne. Pas de chance pour François, il n’a qu’aperçu le derrière de la bête. Moi, je peux confirmer que le rhinocéros, semble avoir une carapace à armure comme dans les films fantastiques !






L’autre fait saillant, Emma a donné 10 roupies à Anthony et ce dernier a aspiré l’argent avec sa trompe, pour ensuite la cracher à son maître.



Anthony, l’autre éléphant, finit par arriver mais le rhino se cache. On essai de l’entourer, mais pas de chance il se sauve. La balade se termine peu de temps après. 



Anthony et une sangsue qui malgré sa peau épaisse réussie à lui retirer du sang




Un légendaire Land Rover de safari !



Le QG du parc



Par la suite, on revient en jeep et on se dirige à pied dans le parc avec deux guides. Selon nous, ces derniers ne sont pas trop nécessaires, mais ils sont obligatoires. 



On marche dans un sentier… On ne voit rien. Non, ce n’est pas vrai, pendant plus de deux heures nous pratiquons l’activité suivante : bird watching.  Pour nous, ce n’est pas trop intéressant mais pour Dilip qui nous accompagne, lui, il « trip ». Nous on pense que ce sont juste des oiseaux et pour plusieurs, des moineaux…


On voit de curieux insectes rouges



Théo lui aussi fait du bird watching avec les longues vues … à l’envers.




Naomi est heureuse



Le lendemain matin on part à l’aventure faire du rafting, ou plutôt du boating. En fait, on fait du bateau dans un pneumatique. Ce dernier a été gonflé à la petite pompe pendant une trentaine de minutes. On se laisse alors porter par le peu de courant (en ce moment) sur la rivière Karnali. On espère voir des dauphins de rivières, ce ne fût pas le cas. On a fait encore du bird watching. Cependant, on a vu des traces de tigres. 



Notre bateau/radeau



Annik avec son style taliban, il y a un soleil de plomb


François, avec plus de style, porte une couverte de renvoi!



Emma qui aperçoit un tigre et un rhino en même temps grâce à son chauffeur et guide privé.

Belle journée malgré tout. On revient à l’hôtel et on décide que l’on repartira  le lendemain pour Surkhet, en autobus, notre première vrai expérience en transport collectif local. 

Départ à 8h45 de l’hôtel, avec les touristes qui se dirigeaient sur la Karnali pour faire du rafting. Nous arrivons à 9h45 à Ambassa. Arrêt obligatoire, transfert d’autobus. On prend  notre 2e autobus.  Le co-pilote nous dit qu’il se rend jusqu'à Surkhet mais nous, on veut des sièges. Il répond: "no problem". Mmmmm.

Le bus est plein à craquer. Des gens sont debout, d'autres assis par terre. Le bus est parfumé de sueur! Les premières minutes sont excitantes. On est entassés comme des sardines. Le bus est équipé d’un lecteur DVD ! Oui, un vrai avec une télé, gros luxe ! On a pu visionner les 4 mêmes clips népalais et indiens pendant notre trajet qui s’est terminé à 15h45. Expérience à refaire? Oui, en autant que des pépins n’arrivent pas en cours de route, mais ça on ne le sait jamais avant de partir... 



vendredi 19 novembre 2010

À l'assaut des rizières: la récolte



C'est le temps des récoltes. Quelques mois suivant la plantation, nous retournons sur les terres de Chandralal, le président de EDS, l'organisation avec laquelle je travaille. Nous sommes de retour sur les mêmes terres inondées devenues complètement sèches et dorées.


Il faut remonter plus loin que le temps des foins de nos parents où toute la famille se mobilisait pour gérer les balles de foin qui se faisaient cracher par la machinerie rudimentaire de l'époque. Plus loin parce qu'ici, il n'y a aucune machinerie. TOUT se fait manuellement. Ça ne prend qu'une serpe, une fourche, de l'huile de bras, du temps et des boeufs.



Les petites mottes de riz se font couper à la base, se font aligner sur une rangée et se font ensuite attacher puis mettre en boisseaux pour un meilleur transport.



La récolte est pas mal plus facile et plus propre que la plantation !


Déjà vu...


Nous devons avouer notre ignorance ici. Lorsque nous avons planté le riz, nous pensions que la raison pour laquelle les parcelles étaient inondées était que le riz poussait sous terre ! Oui, sous terre. On était un peu gêné de réaliser qu'il s'agissait d'une céréale comme un autre avec des grains dorées. C'est juste que cette céréale tolère très bien l'eau. Quoique que cette pratique commence à être sérieusement remise en question.



Les boisseaux de riz se font ensuite transporter jusqu'au lieu où ils seront battus, où le grains se fera extraire. 


Emma et Théo s'amusaient à jouer à la cachette entre ces maisons de paille de riz !


Aussi appelé Paddy, le grain de riz sera décortiqué par la suite. Il doit se faire retirer du plant. La balle (genre de coquille) sera également enlevée et/ou pulvérisée avant d'arriver au grain. Le centre du grain est blanc, c'est l'amidon; le riz que nous connaissons. La balle et les autres parties qui recouvrent le grain sont connues sous l’appellation du son. Le son est riche en vitamines et en protéines. Les paysans le conserve souvent pour alimenter le bétail par la suite.





Une fois les boeufs passés, la paille est retirée à la fourche et les grains sont ramassés à la main sur la surface lisse sculptée d'argile.


Nous apercevons justement Chandralal qui fait un effort pour la caméra. Remarquez qu'il n'est pas trop habillé à la paysanne ! En fait, il est professeur au primaire quelques lieux plus loin. Il possède cette terre car il l'a hérité de son père. Il n'habite pas ici. 

Les voisins de sa terre sont ceux qui l'entretiennent. Ils ne seront jamais propriétaires; discrimination des castes obligent. Pour tous les travaux qu'ils exécutent, Chandralal leur donnera 50 % de ce qui sera récolté. Quelques coûts sont partagés mais il en supporte la majorité. Belle reconnaissance du travail des ouvriers !


Voici les balles et les grains avant que les différentes couches (le son) ne soient retirées pour libérer l'amidon blanc.


Des parcelles déjà récoltées et déjà semées avec la prochaine culture saisonnière : la moutarde.