Véritable village figé dans le temps et isolé dans une vallée de marbre, Jumla fut notre plus récente évasion en famille à l'extérieur de Surkhet. Depuis notre arrivée au Népal, amis et collègues nous parlaient de ce village unique.
L'Itinéraire initial
Au début, nous avions prévu passer 4 jours à Jumla pour y faire des randonnées d'une journée. Puis, la semaine d'après, on prévoyait faire la même chose à Rara Lake, au nord de Jumla. En lisant le Lonely Planet, nous nous sommes rendus compte que nous pourrions rejoindre Rara à partir de Jumla suite à un trek de 4 jours suivant un parcours des plus sauvages. Nous avions donc prévu 7 jours pour atteindre Mugu, le district du Lac Rara, connu sous l'appelation de "la perle du Népal".
Le Départ
En ces temps de fin de Monsoon, il est très dificile de réserver un billet d'avion même si la température le permet. C'est qu'il faut comprendre que lorsque des vols sont annulés, les népalais qui avaient leurs billets se voient confinés à Surkhet. Dans l'impossibilité de pouvoir voler, rejoindre leurs proches et sans un sou, ils couchent ou campent près de l'aéroport. Dès le lendemain, ils sont là, à attendre dès l'aurore dans l'espoir de pouvoir s'envoler. Résultats: des goulots d'étranglement où des dizaines de personnes veulent sauter à bord du seul avion qui décollera vers leur village. L'unique ou un des 8-10-12 vols qui iront vers cette destination ce jour là. JAMAIS possible de savoir d'avance. Du moins, ces temps-ci qu'ils nous disent. Les mots d'ordre: improvisation et chaos. Alors, il faut se tailler une place quand les "valvent ouvrent" et tout ça peut arriver en un rien de temps.
Pendant les nombreuses heures d'attentes à l'aéroport de Surkhet, nous observons les nombreux hélicoptères- mastodontes contractés par l'ONU pour acheminer des vivres sur une base permanente à cette région du monde qui est en pénurie de nourriture la majeure partie de l'année.
C'est pour cette raison que lundi matin, sous un soleil radieux, on décide d'utiliser la stratégie des locaux: j'allais me présenter à l'aéroport dès 7h30 avec Théo. Il faut dire que la veille, la méthode de réservation classique fut un échec. J'avais également pris soin d'utiliser mes contacts. Il fallait que j'aille voir la personne au nom de code "Bhupi" et lui dire le mot de passe "Nirmal". Il saurait ce que je voulais dire. J'avais l'impression de jouer les James Bond. Dès que mon vol serait confirmé, Annik viendrait me rejoindre avec le matériel, Emma et Naomi en taxi.
6 heures et quelques vols plus tard, on décolle avec Tara Air comme seuls passagers dans l'avion, le reste était du cargo. Ils ont réussi à nous ''squizzer'' entre quelques sacs de riz et quelques valises. Les enfants sont intrigués. Le vol est un véritable charme avec les enfants, seulement des beaux petits dodos et beaucoup de question venant d'Emma. Pas de pleurs, ni de crisettes.
L'itinéraire réel
À notre arrivée, les gens du Kailash Hotel viennent nous rejoindre à l'aéroport. Deux porteurs nous aident à amener nos sacs jusqu'à notre chambre. On traverse le bazaar à travers couleurs vives, fumée de bois de cèdre et chants traditionnels crachés par des speakers cheaps. Nos sens s'activent par les fragrances de fleurs, d'herbes et d'épices métissées à la bouse de vaches et autre défécations de bipèdes et quadrupèdes qui jonchent la rue fait de boue et de pierre.
Quelques instants après notre arrivée, notre hôte nous informe que les porteurs locaux sont beaucoup plus chers que nous le pensions: 21 $ par jour + leur nourriture + le logis + les jours pendant lesquels ils reviendraient de Rara Lake. On en a besoin de 3. Dans l'Annapurna, nous avons déjà "booké" nos porteurs pour 10 $ par jour tout inclus. Ça vous donne une idée du prix.
On se rend compte que nous n'aurons pas assez d'argent. Aucun guichet automatique à Jumla. On décide d'aller visiter les gens d'une ONG auprès desquels nous avons des contacts pour qu'ils nous prêtent des sous. Ces deux dames nous pètent royalement notre bulle. Nous qui voulions tellement faire Jumla-Rara Lake. Elles sont dans la région depuis longtemps et nous recommandent de ne pas faire ce parcours avec de jeunes enfants, surtout à ce moment de l'année. Sangsues, pistes bouetteuses et abruptes, conditions météorologiques très variables, grande distance entre les gites qui offrent à manger. On décide d'oublier notre idée en tant que parents responsables. Voici donc la version beaucoup plus simple de notre séjour à Jumla
Durée du séjour: 4 jours et demi-4 nuits
Durée d'attente à l'aéroport: 2 jours complets
Randonnée: une seul journée autour de Jumla
Altitude maximale: 3200 m
Objectif: se balader et vérifier la capacité d'adaptation à l'altitude de tous
Nombre de participants: 5+1 porteur
Jumla
La pauvreté vous frappe telle une brique sur la tête quand vous arrivez à Jumla. Les contrastes y sont saisissants. En ce moment, c'est le temps des pommes et des noix de grenobles. Des centaines de sacs s'empilent sur le tarmac de l'aéroport juste à côté de centaines de sacs de riz fournis par le Programme Alimentaire Mondial (PAM) de l'ONU. Cette région est encore complètement isolée du monde. Aucune route ne s'y rend. Seulement un tronçon qui prend plusieurs jours à faire en tracteur. En fait, la Banque mondiale a fait un prêt au Népal pour compléter la Karnali Highway de Surkhet à Jumla en ... 1990. Elle est encore en construction.
Le fait que la région soit isolée fait en sorte que tous les biens de consommation y sont très chers à cause des frais de transport aérien. En même temps, l'activité économique, mise à part la production de pommes, est très faible provoquant ainsi une pauvreté extrême. Exemple: les pommes sont en ce moment 20 cents le KG. Mais tout le reste est deux ou trois fois plus chers qu'à Surkhet. Par contre, les revenus n'y sont pas. La main d'oeuvre qualifiée locale est en migration permanente à l'extérieur de la région en quête de quelques roupies à envoyer à leurs proches qui sont restés à domicile.
Presque tout y est acheminé par avion. C'est la région la moins développée du Népal. Aucun véhicule, aucun mis à part 4-5 motos et quelques tracteurs pour une ville de plusieurs milliers d'habitants. Shack en bois et infrastructures sanitaires déficientes frappent l'imaginaire. On y retrouve le style de vie que nos ancêtres devaient avoir il y a au moins au moins 500 ans, dans nos cités médiévales de Nouvelle-France, avant même les filles de Caleb !
Apparemment, les choses se sont quand même grandement améliorées depuis quelques années grâce aux dons et aux travail des donneurs internationaux.
Sous l'ombre des premiers sommets enneigés de l'Himalaya Sisne, Jumla est situé à 2370 m d'altitude. La culture du riz y est pratiquée et est considérée comme une des plus élevées sur la planète. La culture du riz rouge, un variété indigène adaptée aux conditions locales rigouseuses y est réputée mais boudée par les népalais du sud.
Randonnée en montagne
Malgré la déception de la veille, on décide de s'embaucher un porteur pour tenter l'ascension de la passe de Danphe Lagna à 3720 m. Un premier sommet de la randonnée menant au Lac Rara qui surplombe la vallée de Jumla. Le Lonely planet prévoyait 6 heures pour la montée. Au total, nous avons marché 10 heures, aller-retour. Un tour de force avec les enfants.
Malgré la déception de la veille, on décide de s'embaucher un porteur pour tenter l'ascension de la passe de Danphe Lagna à 3720 m. Un premier sommet de la randonnée menant au Lac Rara qui surplombe la vallée de Jumla. Le Lonely planet prévoyait 6 heures pour la montée. Au total, nous avons marché 10 heures, aller-retour. Un tour de force avec les enfants.
Emma s'activait. Nouveaux souliers au pieds et ses mitaines, elle était prête pour affronter la grosse montagne.
La piste était effectivement bouetteuse par section mais correcte en générale.
Les paysages alpins ont vite pris le pas sur les quelques lots fertiles aux alentours du village. Ne me demandez pas de quoi vivent ces gens perchés sur le roc... En fait, la dame à droite en bas nous a accompagné durant notre montée pour aller chercher quelques patates à Chere, le village voisin.
Ici en haut regardez à droite, vous apercevrez des ballots de blé. Elles en font de la farine à la main.
Pauvre Tital, notre porteur pour la journée. Théo ne l'a pas épargné. Il avait sa journée dans le corps à la fin du périple. Même s'il a l'air d'un tueur en série, Tital était très sympathique et très patient.
Mais Théo n'a pas été trop tannant. Juste un petit peu. On l'a fait marché un peu mais les précipices et les pentes abruptes l'invitaient. Il avait une attirance naturelle vers celles-ci. Surveillance permanente requise.
Cette route piétonne peut se transformer en autoroute par moment. Elle constitue le seul lien terrestre entre la région du Lac Rara (Mugu) et Jumla. Plusieurs convois de denrées et matériels transigent par cette voie.
Petite pause à un deurali pour y déposer une roche symbolique pour implorer un bon voyage en montagne. Après un long bout difficile, une fois traversée, un deurali est installé pour remercier les dieux
On nous avait dit que Chere, à 3000 m, était un village. Qu'il y avait restaurants, hotels et quelques habitations. Ben, vous voyez cette photo au-dessus. Voici le tout CHERE (prononcé Chéré)!!! Véritable batiment mutlifonctionnel, il fait office de tout ça en même temps. C'est le seul édifice dans le coin. On demande ce qu'ils ont à manger, des nouilles, type Ramen. OK. Une petite planche sous les fesses comme banc et une petite planche sous l'assiette comme table. Un tapis de boue et de fumier s'offre pour notre confort. La pluie commença précisement au moment ou nous nous apprêtons à manger.
C'est ce qui devait être les habitations de Chere dans le discours des locaux. Tenez-vous bien, ces planches et ce toit de plastique abritaient réellement une famille... En hiver, il neige et peut faire jusqu'à -20 à cet endroit.
Nous n'avons pas atteint Danphe Lagna, la passe qui culmine au-dessus de la vallée de Jumla. De l'autre côté nous aurions pu apercevoir des Himalayiennes qui tronent à 6000 M et + mais les nuages les auraient surement voilé. L'orée de la forêt nous a souhaité bon retour. La brume étaient épaisse et cachait le mur que nous aurions du franchir comme derrière étape de la journée.
Nous nous sommes arrêté un peu plus haut que Chere, à 3200 M. Le manque de force pour transporter Emma qui n'en pouvait plus après 5 heures de marche et l'heure qui avançait ont eu raison. Une chance car nous sommes revenus à l'hotel 15 minutes avant la noirceur...
Par contre, eux ont continué. Nous nous sommes dépassés mutuellement à quelques reprises durant l'ascension. Ces gars transportaient des feuilles de toles jusqu'à Mugu ! 4 jours à marcher en montagne avec des feuilles de tole ''strappé'' sur le front. Imaginez ! C'est la seule façon de les acheminer à destination. Tranporter ce matériel par avion jusqu'à Mugu serait trop cher.
Pas une, 8 feuilles de tole !
Sur le chemin du retour.
Les locaux
Les Thakuri représentent le groupe ethnique le plus présent dans la région. Leur visage usé par le temps et leur force de vivre témoignent d'un mode de vie ancestral. Les ornements dorées que les femmes portent au nez et aux oreilles prouvent que la mode saisonnière et ce qui est IN à Paris n'a pas sa place ici.
D'une gentillesse accablante, ils sont capables de garder la bonne humeur malgré les difficultés quotidiennes que leur imposent la vie en altitude. Cette dame, ci-bas, qui nous avait accompagné pour chercher ses patates étaient fière de nous montrer le berceau dans lequel sont enfants se reposait.
Les enfants ont parsemés notre route. On peut voir que l'hygiène peut représenter un problème qui peut se détériorer en infection et autres maux. Par contre, nous avons vu des installations qui fournissaient de l'eau à plusieurs reprises durant la journée.
Surprise, cette dame était heureuse. Heureuse de nous croiser sur son chemin mais aussi contente de sa récolte. Hé oui, fait étonnant, la marijuana est une plante que l'on retrouve PARTOUT à Jumla. C'est fou de voir que tout le monde en est indifférent. Ça pousse comme de la mauvaise herbe comme l'autre dirait. En plus, c'est le temps des récoltes faut croire !
Emma hésitait à se coller à cette madame...
Ce petit sourire peut sous-entendre ce qu'elle fait avec cette herbe aux vertus biens connues.
Voici la vue que nous avions en regardant par la fenêtre de notre deuxième hotel, l'autre coté de la rue de l'aéroport et du camp militaire adjacent.
Le chilum est encore bien utilisé dans cette région. L'arome se dégageant de celui-ci était bel et bien du tabac par contre.
La dame accompagnant le monsieur était bien attentive à nos déplacements.
Notre hotel
Même si nous n'avons pas campé en soi, l'hotel nous a offert que du Dal Baat, oeufs et chow mein pendant ces quatres jours. Se laver était également un défi avec seulement une petite chaudière d'eau froide et une d'eau chaude chauffée au four à bois accompagnée d'une tasse pour se laver les cinq.
L'architecture
L'architecture locale fut définitement une belle surprise. Le ciment et les briques conventionnelles étant inexistantes dans le coin, les locaux se sont carrément sculptées des briques eux-même dans le marbre, minéral abondant dans la vallée. Le bois y est également très présent. Essences de cèdre, de pin, d'érable et d'arbres à noix se cotoient et s'harmonisent avec le décor alpin qu'offre la vallée.
Revenir à Surkhet n'a pas été de tout repos non plus. Il aura fallu presque deux jours d'attente à la porte du tarmac de l'aéroport. Oui, 2 deux jours à se faire dire: prochain vol, dans deux heures, bientot, etc.
Leçon no 1: Garder son sang froid
- Quand le mot peut-être revient dans chaque phrase.
- Quand les petits ne s'en peuvent plus d'attendre
- Quand Théo fait un no 2 dans son froc et qu'il n'avait pas de couche
- Quand il faut négocier les billets, les payer au vent, et peser les bagages dans un chaos total, à l'extérieur (voir photo) avec la personne que l'on pense être responsable.
- Quand la météo se détériore et que 45 personnes ont passé devant toi sur des vols antérieurs
- Quand tu dois retourner à l'hotel après une journée complète d'attente à l'aéroport à se faire dire que tu pars bientôt.
Leçon no 2: Se faire des amis et profiter de ses nouveaux contacts
- Quand tu vois qu'un officier de l'armée t'aimes bien et qu'il peut te faire passer devant tout le monde. C'est plate mais si tout le monde est passé devant toi, c'est moins gênant.
- Quand tu connais la game.
- Leur faire confiance parce que des fois, tu ne reverras jamais la couleur billets qu'ils t'ont pris et ne t'ont jamais redonné.
Leçon no 3: Innover
- Demander d'échanger des billets d'avion d'une compagnie avec une autre qui elle, vole ce jour là ! Ça marche !
- Péter une coche solide si nécessaire.
Une chance que nous sommes revenus vendredi, les jours qui ont suivis. La pluie a envahi les cieux. Nous serions fort probablement encore pris à Jumla en ce moment.
Pour ceux qui sont en attentes de photos de pics enneigés, ça s'en vient. Notre prochain trek sera THE BIG one. On s'aligne l'Annapurna pour 23 jours à la fin septembre.
C'est absolument FABULEUX ces derniers écrits!! J'apprends beaucoup! Merci énormément car le temps passé à nous raconter tout cela, faut quand même trouver le temps !!! Mais aussi, faut penser que ce journal de bord est important, car c'est une expérience tellement riche pour le reste de votre vie, à vous et les enfants!! Merci de nous sensibiliser à ce voyage unique.
RépondreSupprimerAline
Bonjour Annick et François!
RépondreSupprimerJe suis désolé de lire que la randonnée vers Rara a du être abandonnée. En pleine période de mousson, c'était quand même un peu prévisible... Quelle galère quand même? Le khumbu va me semble bien ordinaire à côté de vos aventures "Jumléennes"... Au plaisir de continuer à vous lire! Marc de Montréal
@Aline: Oui, c'est comme ça qu'on voit ça aussi, un journal de bord qui pourra être consulté ad vitam eternam. On prend du temps mais ces récits et ces images pourront ainsi rester gravés pour les enfants.
RépondreSupprimer@Marc: Oui, quelle galère, effectivement. On a acquis plusieurs leçon avec ce petit séjour. Plusieurs règles d'or que nous devrons respecté lors de notre BIG trek dans l'Annapurna. J'espère que le Khumbu sera une formidable expérience !
François