mercredi 12 janvier 2011

S'adapter, c'est l'accepter



Confession

OK, je vais le dire: notre vie au quotidien et mon travail ne suscitent pas autant d'enthousiasme en nous que les périples que nous effectuons en dehors de Surkhet lors de nos temps libres. Nous avons réussi à réaliser toutes ces sorties excitantes grâce à une combinaison de fins de semaines, congés annuels, congés fériés, de dimanches travaillés récupérés et grâce à la gentille collaboration de l'équipe d'EDS. Comme notre ville est loin et reliée au monde par une seule route terrestre; que l'intégration d'une famille d'occidentaux dans la vie communautaire de la place n'est pas évidente, nous avons bien planifié nos sorties pour se stimuler, briser l'isolement et pouvoir passer à travers notre année.  

Vous avez surement remarqué que nos choix éditoriaux sur le blogue sont centrés en grosse partie sur ces excursions que nous avons accomplies au cours des derniers mois. Ces choix peuvent projeter la perception que je suis souvent en congé, que j'accorde peu d'importance à mon mandat à titre de coopérant. Eh bien, ce n'est pas le cas. C'est que nous avons décidé de ne pas trop mettre l'emphase sur les difficultés que nous vivons au quotidien pour ne pas embêter nos lecteurs. La routine au travail me semble aussi d'un attrait discutable. 

On ne vous cachera pas que nous voulons que notre blogue soit intéressant, drôle et divertissant. Se plaindre constamment sur nos petits tracas quotidiens, sur le rythme auquel les choses évoluent au travail et sur les obstacles culturels que j'y rencontre pourrait nuire à mes relations de travail. Imaginez si vous commenciez à dévoiler au grand public ou sur Facebook les bons coups et les difficultés que vous vivez au sein de votre organisation. C'est plutôt confidentiel, non ?

La réalité terrain



Le travail comporte des hauts et des bas. Je savais que le rythme était plus lent mais j’avais conçu mon plan d’action en conséquence. Mes collègues sont super sympathiques même si je n'arrive pas vraiment à communiquer adéquatement avec la plupart. Seulement 2-3 d'entre eux parlent un peu anglais. Aussi, comme coopérant volontaire, les ressources mises à notre disposition pour accomplir nos tâches sont souvent limitées. Il faut donc redoubler d’ardeur et de créativité pour atteindre nos objectifs. Il faut souvent retirer nos lunettes de canadiens pour apercevoir et comprendre les obstacles.

Actuellement, je lis un ouvrage très intéressant appelé « Fatalisme et Développement; la lutte du Népal pour se moderniser » écrit par un anthropologue népalais. Son point est que certains éléments de la société népalaise ne veulent pas changer, se moderniser, se développer. C'est surtout la classe supérieure, définit à l’intérieur d’un système de caste rigide typique au Népal, qui s'efforce consciemment ou inconsciemment à préserver le statut quo. Cette classe est surtout enracinée, présente et projetée à partir de la vallée de la capitale, Katmandou.

Alors, le résultat est que le cynisme s’infiltre sournoisement dans l'esprit de la majorité. Les communautés locales ont peu d’espoir. L’administration centrale tente de décentraliser. Les Organisations Non-Gouvernementales Internationales sont très présentes depuis la fin de la rébellion maoiste en 2006 mais la responsabilisation individuelle et collective tarde à se manifester fermement. Les gens ont peu d’espoir qu’ils puissent améliorer leurs revenus, peu d’espoir de pouvoir augmenter leur production comme agriculteur, peu d’espoir d’offrir à leurs enfants un avenir et une éducation de qualité. Je ne m’attendais pas à ce que les gens soient démunis à ce point dans une structure de caste qui perpétue l’ordre établie. Tu nais Brahmin (la caste supérieure); tu as des opportunités qui s’offrent à toi. Tu nais Dhalit ( les « intouchables en bas de l’échelle); tu resteras pauvre jusqu’à la fin de tes jours.

La région dans laquelle je travaille est très isolée. Il ne faut pas oublier qu’une guerre civile a déchirée le pays entre 1996 et 2006. Ma région était le bastion des forces rebelles maoïstes. Maintenant, elle s’est transformée en une plaque tournante d’Organisations Non-Gouvernementales qui viennent en aide aux populations locales et régionales. L’ONU et le programme alimentaire mondiale (PAM) sont aussi très actifs à distribuer des vivres par hélicoptère aux villages montagneux affamés inaccessibles dans la région. Les besoins sont immenses mais la coordination entre les acteurs est parfois déficiente. 

Le gouvernement est faible et une nouvelle constitution est en cours de rédaction. La mission de maintien de la paix de l'ONU est sur le point de quitter en janvier. Les 23 partis au pouvoir en sont au 17e tour pour tenter de désigner un premier ministre. La corruption est omniprésente mais subtile. Il faut être tenace pour accomplir sa mission. La mienne est d’aider les agriculteurs locaux dans le marketing collectif de leurs légumes. Un défi de taille quand on sait qu’ils arrivent à peine à se nourrir eux-mêmes !

Ce qui est difficile, c’est de se rendre compte à quel point certains agriculteurs partent de très loin. Sans éducation, la plupart ne savent même pas quelle est la superficie qu’ils ont en culture. Il y a également un grave problème de relève et de main d’œuvre car les jeunes quittent les montagnes pour migrer en Inde à la recherche d’un maigre salaire. Avant même de parler du concept de marketing, mon défi est de les stimuler et de les convaincre qu’ils peuvent s’en sortir, qu’il y a des opportunités à saisir. 


Le travail

Comment tout cela se traduit dans mon travail au quotidien ? Avant même de transférer des connaissances en marketing, je me rends compte que ma tâche première est de convaincre les agriculteurs qu'ils ont le pouvoir de changer cette trajectoire. Qu'il est possible de produire davantage, de contourner les systèmes de marketing en place, d'agir collectivement malgré le manque de capital, d'utiliser judicieusement les ressources auxquelles ils ont déjà accès. 


En tant que conseiller en marketing, mon mandat consiste à les supporter afin qu’ils puissent tirer un meilleur avantage du marché local dans lequel ils se trouvent. Je conduis donc une étude de marché pour eux afin d’analyser les zones où des ajustements stratégiques seraient à privilégier. L'accès aux données primaires et secondaires est fastidieux. Le peu d'ouvrages et statistiques recensés localement sont en script népalais et non-informatisés. Je me suis même déplacé à Katmandou pour tenter d'en obtenir davantage. La collecte d'information prend beaucoup de temps, de patience, de contacts et de détermination. Une fois obtenues, les données sont précieuses et révélatrices.

Par exemple, une de mes dernières trouvailles, confirmée seulement récemment, démontrent qu’un seul  grossiste de fruits et légumes contrôle environ 70 % des parts de marché du district de Surkhet, une région d’environ 350 000 habitants. Celui-ci contrôle même le corridor commercial qui traverse le district vers d'autre régions isolées au nord. Ces districts  dépendent de ce fournisseur unique qui transige à travers cette seule route à moitié pavée pour s’approvisionner en fruits et légumes. 70 %, c’est ÉNORME ! Parce que les routes et les infrastructures sont déficientes et qu’il est en contact quotidien avec les quelques autres marchands au sud, cet homme fait le jour et la nuit sur le marché des légumes à Surkhet, au détriment des agriculteurs qui tentent de se regrouper, en vain, pour obtenir une meilleur part du gâteau. 

Contrairement au Québec, il n'y pas de régie des marchés ou d'agence de mise en marché ici. Aucune association syndicale agricole n'est en place. Les agriculteurs sont dans la jungle, c'est le cas de le dire.

Les cartels et la corruption sont très présents au Népal. Sur une base quotidienne, je consulte les acteurs locaux, je conçois des guides et j'élabore des stratégies pour les outiller à contrer ces phénomènes quasi-monopolistiques. Je donne des formations aux formateurs et aux leaders d’organisations coopératives locales en marketing et en gestion afin qu’ils puissent se tailler une place dans le marché et améliorer leur sort. 


S'adapter, c'est l'accepter 


Il est facile d'avoir des préjugés et autres réponses instantanées face aux problématiques que je viens de soulever. Les appliquer est une toute autre paire de manche. Les népalais sont fiers et orgueilleux. Les agriculteurs et paysans doivent être maîtres de leur destinés. Ils doivent demeurer auteurs de leurs vies. On peut seulement tenter de les supporter, pas de le faire à leur place. Vous vous rappelez de l'histoire de pêche ?

Pour être heureux dans un mandat de coopération, il faut d'abord accepter 

Que notre contribution sera modeste;
D'être modeste soi-même;
Que le style et les méthodes de travail ne sont pas les mêmes qu'au Québec;
Que la barrière de langue peut être un obstacle immense;
Qu'il y a des évènements qui sont hors de notre contrôle;
Que plusieurs ONG sont déjà passées avant nous;
Qu'être blanc signifie avoir un signe de dollar d'étampé dans le front;

S'adapter, c'est accepter tous ces éléments et plusieurs autres. Par contre, il ne faut pas accepter le fatalisme, la pauvreté, une destinée tracée d'avance. Il ne faut pas accepter le racisme, le sexisme et toute autre discrimination qui ralentit le développement d'un peuple et le droit de tous ses individus d'accéder dignement à la sécurité alimentaire, à un logis, à des soins de santé décents, à une éducation de qualité et à tous les autres étages de la pyramide de Maslow.

Pour nous, s'adapter, c'est accepter que l'eau ne viendra pas toujours, que l'électricité soit coupée à chaque jour, que les légumes disponibles dans le coin dépendent de la saison, que les soins de santé soient déficients,  pour ne mentionner que ces points. Pour une famille comme nous, s'adapter c'est de comprendre comment on peut se sentir quand on redescend d'une couple de paliers dans cette pyramide.

Vous êtes nombreux à nous lire assidûment. Avec ce blogue, nous ne voulons pas cultiver votre pitié, votre envie, votre impuissance ou votre culpabilité. Loin de là. Nous ouvrons notre livre à vous tous en sachant qu'il suscite des opinions et des perceptions différentes. Nous espérons que les images et les mots interpellent chacun de vous différemment. Que ce soit seulement pour les photos ou pour les textes, nous voulons simplement vous dire merci d'être avec nous.

Il ne reste plus que 3 mois à notre séjour au Népal. Notre blogue est un journal qui aidera notre mémoire à se rappeler les beaux moments que nous avons vécu en famille. Ce sera un mine d'or pour nos enfants lorsqu'ils seront plus âgés. Nous sommes heureux de le partager avec vous.

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